
Francesco Canova
Francesco Canova (1992) est scénariste, théoricien et photographe. Il a obtenu une licence en philosophie à l’université de Padoue et il a travaillé de 2015 à 2019 en tant qu’assistant réalisateur et scénariste pour des courts et longs métrages. Le Prisonnier, pour lequel il a travaillé comme scénariste a été présenté à la Mostra del Cinema di Venezia. En 2022, il est diplômé de l’École Nationale de la Photographie à Arles. En 2024 il est exposé au Rencontres d’Arles et obtient une bourse de doctorat en recherche et création à l’ENSP d’Arles. Il intervient au sein de colloques ou de séminaires, et a exposé son travail à Paris, Grenoble, Venise et Arles. Dans une autre vie, il aurait voulu être un détective ou un historien. Il est fasciné par la façon dont certaines histoires sont transmises par la tradition orale et comment elles se transforment avec le temps.
Le détective métaphysique: modèle d’enquête des relation texte-image (littérature-photographie)
L’objet de cette proposition de doctorat est d’élaborer une analyse théorique et plastique des relations texte-image et en particulier de la relation qui s’entame entre photographie et littérature. Ce dispositif, active une dialectique entre deux gestes capables de produire leur propre mythographie. Il s’agira de comprendre comment notre modernité s’empare de cette relation, d’en produire une archéologie et d’en comprendre les fonctionnements à partir de l’hypothèse de la figure du détective métaphysique. Figure contemporaine, proche des photographes et des poètes, le détective métaphysique est un être multidimensionnel, qui se confronte au monde à partir de la modalité de l’investigation et s’interroge sur la forme donnée à la connaissance. Son enquête tient du processus de l’expérience et est une tentative d’interprétation du monde. Le détective agit sur une surface habitée par des récits, des figures, des spectres et des traces qui déterminent un territoire et les êtres qui y demeurent. Dans cette quête, le détective prend acte d’un monde fragmentaire et labyrinthique, où chaque élément recèle un secret inépuisable. Héritier des questionnements soulevés par Borges, Nabokov ou Bolaño, il navigue entre réalité et fiction, produisant une mythographie qui, sans prétendre résoudre, tente d’éclairer le territoire qu’il explore. En tant qu’opérateur plastique, ses démarches et formes de restitution seront protéiformes.
Pendant longtemps, une interprétation imparfaite de la formule d’Horace « ut pictura poesis » a instauré l’idée que texte et image devaient entretenir un rapport mimétique. Avec l’avènement de la photographie, ce rapport est devenu plus conflictuel, poussant la littérature à se détourner du réalisme : comme le disait Paul Valéry, « le bromure l’emporte sur l’encre ».
Cela a conduit à percevoir le rapport entre texte et image comme une antinomie, où l’altérité de ces deux formes se réduit à une simple relation d’illustration. L’enjeu de ce projet consiste dans un premier temps à déconstruire les fondements de cette problématique dans l’histoire de l’esthétique et de la pensée. Dans un second temps, cette recherche s’interrogera sur le rapport qui s’instaure entre photographie et littérature dans les pratiques contemporaines, comme possibilité de croisement entre texte-image.
Le modèle d’enquête pour affronter ce travail s’identifie dans la figure du détective métaphysique, qui produit une subversion des codes du récit policier classique et possède une vocation ontologique qui lui permet d’interroger les mystères de l’être et de la connaissance au-delà du simple artifice de l’intrigue. Cette figure agit à la fois sur une dimension ontologique et une dimension empirique, où il développe son protocole d’enquête sur le terrain. Sur le plan ontologique l’enquêteur sonde l’impossibilité fondatrice sémiotique de la traductibilité entre texte et image.
Sur le plan empirique, le modèle du détective métaphysique explore un territoire, envisagé comme une cartographie fictionnelle où les histoires, les récits et les mythes prolifèrent et s’entassent, dans l’attente d’être auscultés et dits. Cette recherche procède avec une accumulation des questions sans réponses, des énigmes ouvertes et des déceptions ; la recherche tourne en rond et toute solution est suspendue. Révélation et secret font partie du même mouvement (alèthèia) et la tâche du détective est celle de nous ramener le plus proche possible à ce secret, qui se maintient toujours dans l’indétermination. Le détective, comme le photographe ou l’écrivain, est celui qui demeure sur le bord du secret, sur la frontière de l’inaccessible, où les choses sont à la fois vraie et fausse, tendre et terrible, pour nous en restituer quelque chose ; comme le photographe, le détective métaphysique nous conduit de la latence à l’exposition, même au risque de sa propre vie.
De la même manière, tous les personnages qu’il rencontre sont à la recherche de quelque chose ; quelque chose d’indéfini, de secret, qui est la raison même de leurs errances ; avec leurs manies et leurs déceptions, à tâtons, ils cherchent à redonner du sens à ce monde, à l’habiter et à trouver une forme pour le traverser en souffrant le moins possible ; ils y arrivent à travers la fiction, c’est-à-dire, la production du récit.
Comme dans la mythopoétique, le détective ne s’intéresse pas tant à la fabrication des mythes, mais plutôt à leur fictionalisation ; il les reprend, les adapte et déplace pour en modifier l’éclairage ou la portée sur le contemporain ; en jouant avec cette matière brute, il s’interroge sur les formes possibles du récit.
À la fin de sa quête, faite parfois de mystifications et de mensonges, le détective métaphysique tentera de fabriquer une représentation protéiforme.
Le coeur de sa pratique insiste précisément sur cette idée ; à travers la production du récit, surtout dans une dimension ludique, nous pouvons proposer une réparation du monde, ou, du moins, trouver un moyen de le supporter.

Buffalo Bill, Camargue
©Francesco Canova

Faucon mort, Camargue
©Francesco Canova

Naissance d’un cheval,Camargue
©Francesco Canova