Sylvain Couzinet-Jacques

Sylvain Couzinet-Jacques est un artiste-chercheur (ENSP-AMU) dont le  travail a été exposé internationalement et a reçu plusieurs prix prestigieux, obtenant ainsi des expositions personnelles au BAL (prix Jeunes Talents, 2013), à C/O Berlin ( Talent Award, 2019) ou encore à Aperture Foundation à New-York (2016). Il a été le premier lauréat en 2015 du prix Immersion de la Fondation d’entreprise Hermès pour le projet Eden, dans lequel il s’est engagé durant une décennie aux Etats-Unis. En 2017 il est reçu pensionnaire de la Casa de Velazquez- Académie de France à Madrid, et en 2024 de la Villa Albertine.

Son travail fait partie de nombreuses collections publiques et privées, telles que l’International Center for Photography (ICP) à New York, la collection JP Morgan, la collection nationale française des arts (FNAC), la collection Neuflize OBC, la Fondation Deutsche Börse, la collection de la Fondation Hermès et le Kunstmuseum Wolfsburg, entre autres.

Le projet Retcon Black Mountain prolonge sa réflexion d’artiste qui se situe à mi-chemin de  la photographie documentaire, l’installation vidéo et sonore et des dispositifs technologiques complexes. Les enjeux globaux de la circulation immatérielle des données, de la propriété privée et de l’appropriation collective sont au coeur du projet, interrogeant des formes renouvelées et sociales de l’usage des intelligences artificielles.

Résumé de thèse

Retcon Black Mountain revisite les archives photographiques et textuelles de la célèbre institution américaine Black Mountain College, à travers des photographies, des entretiens, et des documents inédits qui sont analysés par des systèmes d’intelligences artificielles afin d’en produire des fictions dérivés. Ces fictions servent ensuite de socle à des laboratoires pédagogiques documentés et à la co-création de récits qui s’ancrent dans le prolongement de l’utopie présumée de Black Mountain.

Reconnu par les artistes et intellectuels de son époque, le Black Mountain College (1933-1957) a attiré et façonné des esprits non-conformistes, dont certain.e.s sont devenu.e.s des figures majeures de la seconde moitié du XXe siècle, à l’image de Willem et Elaine de Kooning, Robert Rauschenberg, Josef et Anni Albers, Buckminster Füller, Jacob Lawrence, Merce Cunningham, John Cage, Ruth Asawa, Cy Twombly, Susan Weil, Dorothea Rockburne, Walter Gropius, Marcel Breuer, et bien d’autres. Plus qu’une école d’arts, Black Mountain entendait former des citoyens du futur dans un monde incertain, s’inspirant de la philosophie de John Dewey. Son cadre expérimental, parfois perçu comme une utopie, témoigne pourtant d’une histoire complexe et non linéaire, marquée par les tensions et le chaos de son époque. Loin d’être un simple refuge intellectuel, il fut le théâtre d’expérimentations pédagogiques inédites, de laboratoires esthétiques avant-gardistes et d’une organisation communautaire pragmatique, offrant ainsi des perspectives toujours actuelles pour penser notre monde contemporain.

L’intelligence artificielle mise au service du projet est ici envisagée comme un outil politique de ré-appropriation de l’histoire et comme une tactique possible de produire des récits contrefactuels, avec une approche qualifiée de « retcon ».

Diminutif de “retroactive continuity”, le terme retcon est largement employé comme un effet scénaristique dans la production de masse cinématographique comme une variante du remake. Au-delà de cette simple définition, le terme articule une pensée dérivative qui mérite toute notre attention aujourd’hui, en tant qu’elle engage parfois des stratégies collaboratives politiques et esthétiques qui déplacent les pratiques artistiques dans le champ du scénario.

Cette tendance à la ré-interprétation et au recours à la fictionnalisation est inhérent presque à l’Histoire de l’Art ; cependant la nature amateure, collaborative et technologique de la pratique apparaissent comme des actes performatifs politiques qui renouvellent les questionnements liés à la communauté, aux identités et son histoire. Ils soulèvent des enjeux esthétiques, ils façonnent de nouvelles icônes largement réemployées dans le champ de l’art contemporain. La thèse est une observation de ces pratiques et tente d’en cerner les enjeux.

L’influence grandissante des intelligences artificielles et leurs accès facilités bouleversent notre rapport à l’archive et ses interprétations. Comment les nouvelles technologies prédictives et d’analyse peuvent- elles être liées à la construction d’arcs narratifs complexes qui revisitent le cours de l’histoire – et donc de la réalité du temps présent ? Quelles formes cela produit-il, en actualisant l’archive et en la déplaçant modifiée dans la complexité des enjeux globaux du XXI ème siècle ? Comment ces technologies de deep learning peuvent-elles être utilisées in fine pour reconstruire et poursuivre des utopies collectives d’un passé révolu ?